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Écrivain d’expression komie et rédacteur en chef du journal
pour enfants Bi kiń (L’Étincelle), Aleksej
Popov est l’auteur de recueils de nouvelles et de plus de
vingt pièces de théâtre. Ses pièces sont jouées dans divers
théâtres de Russie. Dans cet exposé, il revient sur les
raisons qui l’ont conduit à écrire et sur sa rencontre avec le
théâtre. Il s’interroge sur le processus de création, puis sur
son rapport au travail du metteur en scène et des acteurs. Il
justifie ses choix esthétiques dans la perspective du théâtre
de Russie et du caractère de la langue. Au-delà du théâtre, sa
réflexion se porte sur le statut de la langue komie
aujourd’hui, qui souffre d’un déclin du nombre de locuteurs et
d’une influence croissante de cultures extérieures. Il
s’interroge sur les conditions de préservation de la langue.
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L’écriture théâtrale, on le sait bien, est un métier
« aux pièces ». Néanmoins, la pratique le
montre : on devient auteur de pièces pour bien des
raisons diverses. L’une d’entre elles est l’amour du théâtre.
Les autres peuvent être le désir de reproduire sur le papier
certaines situations de vie. Une troisième raison peut être la
gloire de faire tourner autour de votre œuvre toute la
production théâtrale. Mais moi, pourquoi suis-je devenu auteur
de théâtre ?
Il n’est pas
facile de répondre. D’une part, tout dans la vie arrive comme
par hasard, même si je suis profondément convaincu que le
hasard n’existe pas. Quand j’étais enfant, je ne sentais pas
le besoin d’écrire. Je n’ai jamais aspiré à me retrouver dans
les journaux muraux de l’école. En revanche, j’aimais beaucoup
la revue Vojvyv kodźuv.
Mon père, Vjačeslav Popov, était lui aussi un vrai passionné
de lecture. Il était comptable. Non seulement : il a
aussi écrit quelque chose sur un garçon et certains fantômes
qui accompagnaient sa vie. Il avait peut-être décrit ses
sensations d’enfant. Dans le cahier d’école dans lequel il
écrivait, il avait créé un monde mystique, comme on dirait
aujourd’hui, surréaliste. Quand j’eus grandi, j’ai recherché
ce petit cahier, mais malheureusement, je n’ai pas réussi à le
trouver.
La première
fois que j’ai pris un stylo pour écrire, c’était à l’armée.
J’ai commencé à écrire parce que je me languissais de la
langue komi, je ne supportais pas la séparation avec ma
langue. A Bol’šelug, dans le rajon de Kortkeros, où je suis né
et où j’ai grandi jusqu’à mes 18 ans, seules une ou deux
personnes parlaient le russe et encore venaient-ils
d’ailleurs. Alors j’ai commencé à « converser », à
l’aide du petit cahier. Au début, j’ai écrit des récits. Grâce
au programme scolaire, je me suis souvenu de ce genre
littéraire court. De tout ce qu’il fallait avoir
obligatoirement dans un récit : une introduction, un
sujet, un tournant. Je suis parti du thème d’une ancienne
blague. J’ai écrit mon récit, je l’ai envoyé à ma revue
préférée. Je reçus une réponse chaleureuse du rédacteur, Ivan
Grigor’evich Toropov. Il a fait remarquer qu’on ne peut pas
réussir un récit à partir d’une blague et il m’a conseillé
d’écrire sur les sujets qui me touchent réellement. Ainsi j’ai
écrit mon deuxième récit, L’âge de la conscription.
Ce récit fut publié dans le numéro d’avril de la revue, en
1971. Il est vrai que la joie que m’a apportée cette première
publication était mêlée d’anxiété. Je ne cessais de me
demander combien d’argent ils allaient me soutirer : ils
avaient utilisé tant de papier… J’étais un jeune de la
campagne, plein de naïveté. Et quand, j’étais au service
militaire, je reçus mon premier honoraire, ma joie n’eut plus
de limites : 74 roubles 80 kopecks, si mes souvenirs sont
bons. Cette somme folle me permit d’inviter mes camarades.
Nous nous régalâmes de biscuits. Les gars me dirent :
toi, écris, nous ferons les gardes à ta place.
Cette même
nuit, je me mis à ma table et j’écrivis encore deux récits.
Bien sûr, ils ne passèrent nulle part. Ce soir-là, j’avais eu
ma leçon : si on se met à écrire en pensant à l’argent,
rien n’en sort.
Et la
première pièce ? Elle est aussi née par hasard. Au début
des années 1990, le principal metteur en scène du Théâtre
Savin était Svetlana Genievna Gorčakova. Il était manifeste
qu’elle voulait des transformations : de nouveaux
écrivains, de nouveaux artistes, de nouveaux metteurs en
scène, une nouvelle écriture théâtrale. C’est ainsi que fut
organisé un groupe de jeunes créateurs. Un jour elle s’adressa
à nous : essayez d’écrire une pièce qui touche le
spectateur au fond de son âme ! Mais personne d’autre que
moi n’a relevé le défi ! Et moi, j’en ai écrit une, il
s’agit de la pièce Quel
genre de personne… Les événements de la pièce ont lieu
dans une maison à la campagne, où l’on commémore la mémoire
d’une femme. Les invités se comportent de manière
inconvenante : ils rient, ont des conversations ineptes,
se soûlent… C’est une histoire qu’on reconnaît, en Russie.
Avant, quand j’apportais un récit à la revue, je ne pouvais
jamais répondre à la question « pourquoi je l’avais
écrit »… C’est la même chose pour cette
« commémoration ». Non, je n’avais pas été témoin
caché des événements. Tout ceci, de même que les sujets de mes
autres pièces, c’est de l’invention pure et simple. Je suis
allé chercher tel « prototype » ici, tel autre là…
J’ai tout mis ensemble…
Parfois, les
gens qui écrivent disent que les héros de leurs œuvres dictent
eux-mêmes les règles du jeu. C’est toujours intéressant de
voir comment, au juste, se déroule le processus de
création. Pour moi, je dirais, ce processus est douloureux. Je
commence par penser à un sujet. C’est un processus bien long.
Ensuite, quand dans ma tête tout est déjà en place, je me
force à grand-peine à me mettre à mon bureau. Pour moi, le
plus dur, c’est le travail mécanique. Je mets sur la table une
feuille blanche. Et ensuite je peux marcher pendant une
demi-journée en regardant cette feuille avec animosité. En
même temps, je me répète que personne d’autre que moi ne le
fera. Après un dialogue insensé avec moi-même, je finis quand
même par me mettre au bureau. Mais là aussi, j’invente un bon
millier de raisons pour ne pas écrire ; le stylo n’écrit
pas bien, le crayon n’est pas taillé comme il faut … Mais ce
faisant, on peut tout aussi bien perdre le sens des héros, de
la pièce, du temps ? Oui, c’est possible. Et si on ne
s’oblige pas à écrire tous les jours, si on ne se remet à
l’écriture que six mois ou un an plus tard, on peut très bien
ne plus reconnaître ce qui a déjà été écrit. Cela arrive. On
écrit et on voit que tout est comme coupé à la hache :
les héros ne pensent pas comme je le voulais, ils ont pris
soudain de nouvelles habitudes. De manière générale, ils sont
devenus différents. C’est fort difficile, dans ces cas, de
trouver l’état d’âme correspondant à la pièce. Tout ceci pour
dire une seule chose : il ne faut pas reporter
l’écriture à plus tard.
Je ne peux
pas affirmer bien connaître le théâtre aujourd’hui en Russie.
Il ne faut pas s’en étonner. Le théâtre d’avant, celui du
réalisme socialiste, où dominaient le « noir et le
blanc », je n’en ai jamais eu besoin. Mais je n’ai pas
non plus besoin de ce qu’on appelle « le nouveau
drame ». Et aujourd’hui, une chose est claire : le
« nouveau drame » a sa scène, ses metteurs-en-scène,
son spectateur, son festival… Mais moi, personnellement, je ne
peux pas accepter la culture que prêche cette orientation. Je
comprends qu’il faille chercher de nouveaux procédés dans
l’écriture théâtrale. Mais la noirceur, la saleté, les jurons,
l’agression, les émotions négatives fortes… J’ai été dans de
nombreux théâtres en Russie, fort différents. Le nouveau drame
se reconnaît bien. C’est un phénomène né au milieu des années
1990, dans une période pas simple du tout dans notre pays. Et
aujourd’hui il ne vit pas, j’en suis convaincu, sur de
l’argent venu de Russie. Les conclusions vont de soi.
Peut-être quelqu’un veut vraiment diriger notre cerveau.
Hélas, les jurons ont effectivement rempli nos scènes, ainsi
que nos écrans de cinéma… Ce qui me froisse, c’est
qu’aujourd’hui, des Komis parlant komi, il y en a de moins en
moins. Rectifier le tir, c’est tout d’abord l’affaire des gens
eux-mêmes. A l’époque soviétique, quand le komi, du point de
vue du soutien gouvernemental était dans une position plus
mauvaise, les gens essayaient davantage de le préserver. Je ne
comprends pas pourquoi on a aujourd’hui une attitude peu
attentive envers la langue. Le peuple komi doit
comprendre : la langue se maintiendra, si les parents la
transmettent à leurs enfants. Je pense qu’il fait commencer
quand même par soi-même, ne pas toujours s’en prendre au
gouvernement. Pourquoi pendant de longues années, à la
direction du mouvement national Komi vojtyr seules
quelques personnes ont parlé komi avec leurs enfants ? Le
komi, c’est la langue de mes ancêtres, c’est moi. Si je ne le
parlais pas, je ne pourrais pas me rapporter au peuple komi,
quoi que dise mon passeport. La langue est le fondement du
peuple. Pouvons-nous continuer à vivre, si avec le temps, le
komi disparaît ? Oui, bien sûr, mais la disparition de la
langue serait équivalente à la disparition d’une couleur dans
l’arc-en-ciel. Si nous ne parvenons pas à préserver le komi et
les autres langues nationales, commencera une réaction de
déclin. Le komi, c’est l’outil de défense du peuple contre les
influences extérieures dangereuses. Le russe n’a pas cette
protection, cette stabilité. Je ne comprends pas pourquoi les
gens, maintenant, sont négligents vis-à-vis de la langue. Le
peuple komi doit comprendre que la langue se préservera si les
parents la transmettent à leurs enfants. Je crois qu’il est
encore nécessaire de commencer par nous-mêmes, plutôt que de
blâmer le gouvernement. Pourquoi, au fil des années, à la
direction du mouvement national Komi vojtyr, seules
quelques personnes parlent à leurs enfants en komi ?
Le peuple
komi, c’est une partie d’une communauté plus globale, celle
des gens du Nord. Les gens du Nord se caractérisent par leur
absence de malveillance, par leur rapport positif à la vie.
Les raisons se trouvent dans les rudes conditions de vie, car
c’était la seule solution. Le mal repousse les gens du Nord,
ils aspirent toujours à ce qui est bon.
Je
n’oublierai jamais la sensation que j’ai eue quand j’ai vu
pour la première fois un spectacle fait sur un texte de moi.
Ma première pièce et encore quelques-unes ont été montées par
Evgenij Malafeev. Je ne suis jamais intervenu dans la mise en
scène, pour moi, Ženja est un spécialiste de haut niveau, qui
sait traduire en action scénique ce qui est sur le papier. La
première était la pièce Les
couvertures ne sont pas pour les alcooliques. La version
scénique s’appelait « La Morgue ». Après la première
j’ai compris une chose. Le spectacle est quelque chose
d’entièrement différent que la simple lecture de la pièce par
d’autres. Quand on lit, on ne perçoit pas les émotions de
celui qui écoute. Mais avec la mise en scène… C’est une salle
pleine de personnes qui écoutent vos idées, vos paroles. Ces
gens ont leurs émotions, leur rapport aux mots qui sont dits.
Au premier spectacle, tel est mon usage, je ne regarde pas les
spectateurs. J’écoute, les yeux fermés. Je suis très tendu,
parce que je sens que chaque intonation ratée des acteurs se
reflète sur le spectateur. À la deuxième représentation, en
règle générale, je regarde avec la salle. Je n’ai pratiquement
pas d’histoires situées en ville. Mes héros vivent dans la
forêt, au village, à moins que toute l’action d’une pièce se
déroule à la ferme. Il peut y avoir des dimensions
mystiques : des sorciers, de la magie, comme dans la
pièce Allant vers la
lumière. Pourquoi ? C’est comme chez Gabriel Garcia
Marquez : la nature du Nord elle-même vous donne ce sens
mystique du monde. J’ai grandi dans cet esprit : au cours
des soirées de village, on se racontait des histoires, des
légendes. Les écrivains, dont moi, souvent idéalisent le
passé. Dans doute parce qu’avant les gens étaient plus
lumineux, meilleurs, plus compréhensibles. Or mes
contemporains ne veulent pas être comme l’étaient leurs
ancêtres. J’ai d’ailleurs écrit une pièce sur ce sujet :
« Une place au soleil ». La forêt, pour moi, est une
église. De par sa nature, les Komis sont dualistes. Ils
peuvent aller à l’église et s’adresser aux divinités païennes.
Kallistrat Žakov a dit à ce sujet : jusqu’à la forêt, il
est chrétien, une fois arrivé à la forêt, il est païen. Je
crois à des forces supérieure, mais je n’aime pas les
intermédiaires, c’est pourquoi je ne vais pas à l’église.
De nos jours
les écrivains de théâtre des nationalités, comme tous les
hommes de lettres, doivent tirer tout seuls leur épingle du
jeu, ce que je fais. Les Komis sont par nature obstinés, et
cette qualité m’assiste. L’entêtement est profondément
implanté dans nos gènes. La chasse, qui était l’occupation de
nos ancêtres dans les conditions rude du Nord, demandait de
telles qualités. Quand on se fixe un objectif, il faut
absolument l’atteindre. Écrire des pièces, les publier et les
monter, ce sont trois choses différentes. Les metteurs en
scène d’aujourd’hui préfèrent suivre les sentiers battus et
monter des œuvres d’auteurs très largement connus, comme
Tchekhov, Ostrovski, Shakespeare. Malheureusement, on ne
cherche des pièces nouvelles pas aussi souvent que nous le
souhaiterions.
Je pense que
les metteurs en scène sont paresseux : ils ne veulent pas
lire les œuvres d’auteurs peu connus. De plus, si jamais un
metteur en scène entreprend de monter une pièce nouvelle, il
doit franchir toutes sortes d’obstacles : prouver aux
fonctionnaires et à la direction du théâtre la nécessité de
monter un spectacle justement sur tel ou tel texte. Le
spectacle peut ne pas plaire à son public, et le
metteur-en-scène sera le premier accusé.
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Traduit du russe par Eva Toulouze.