Colloque "Théâtre en langue minorée", Nice, 2014.

Serge CHIARAMONTI
Président, Lou Rodou Nissart

HOMMAGE À RAOUL NATHIEZ ; LOU RODOU AUJOURD'HUI

___________________________________________________

 
Lou Rodou Nissart est une troupe de théâtre fondée en 1977 par Raoul Nathiez et des élèves du collège Roland-Garros. Lou Rodou n’a cessé de jouer depuis, soit des textes d’auteurs comme Jouan Nicola (
Pètou lou Rachou…), soit des adaptations poétiques d’auteurs contemporains tels Alan Pelhon, mais aussi des textes de tradition orale comme Lou Presèpi, sans oublier ceux de son fondateur Raoul Nathiez (39-40, Lou Pichin Tournet, L’enfant dau betun…) ou de son successeur à l’écriture et à la présidence, Steve Betti, avec des pièces comme La Rosa, La Sabatièra ou Recordansa. Lou Rodou Nissart se produit ainsi depuis vingt-cinq ans dans tout le Comté et même au-delà. Il est toujours en évolution, incorporant notamment de jeunes nissardophones tentés par le théâtre. De 2000 à 2004, Steve Betti a conduit la troupe tout en lui offrant de nouveaux textes enrichissant le patrimoine culturel niçois. En 2004-2005, avec son nouveau président, Serge Chiaramonti, Lou Rodou a repris Lou Presèpi dans une nouvelle mise en scène de Daniel Damase. Cet exposé rendra hommage à Raoul Nathiez, qui nous a quittés en 2013.

___________________________________________________


Lou Rodou est naît, sous l’impulsion de Raoul Nathiez son vrai fondateur dans les années 70.

Raoul était professeur de mathématiques et de technologie au collège Rolland Garros à Nice quand il put mettre en place des cours de Nissart accompagné dans cette aventure de son ami et collègue Roger Gasiglia, professeur de lettres modernes ainsi que d’histoire et de géographie : c’était en 1973.

Les cours s’adressaient aux élèves volontaires pour découvrir ou entretenir cette langue de la famille Oc encore bien ancrée alors dans Nice. Il fallait vraiment être volontaire car les cours étaient dispensés en toute fin de journée de 17h à 18h une à deux fois par semaine, mais la gageure à pris et a duré. À cette époque le collège Rolland-Garros était le seul établissement scolaire avec le collège Antoine-Risso à proposer cette option qu’on n’appelait pas encore ainsi.

C’est cette activité nouvelle qui a, non seulement amené beaucoup d’élèves curieux et heureux d’approfondir cette langue qu’ils entendaient chez eux ou au-dehors et a progressivement donné l’idée à Raoul Nathiez d’aller au-delà des simples cours qui très vite ont été baptisés « le cercle niçois ».

En remettant les choses dans leur contexte, il faut rappeler que depuis des années tout le monde été habitué à penser qu’une langue régionale était forcément une langue de sous-catégorie, abâtardie par le vulgaire dans le mauvais sens du genre et qu’il ne convenait absolument pas d’employer et encore moins dans le milieu scolaire même si une loi depuis 1950 allait dans le contraire de cet ancrage, résultat d’une intégration farouche du français menée à marche forcée par la III° République française.

Aussi il y avait un peu un parfum d’interdit qui faisait frémir les narines des élèves : on pouvait apprendre du niçois au collège !

Si ce n’était pas révolutionnaire, ça y ressemblait fort alors.

Si les cours se sont de plus en plus structurés avec la méthode du Nissart à l’escola éditée par Lou Sourgentin, revue mensuelle bilingue à laquelle Raoul a contribué jusqu’à la veille de sa mort, il faut attendre 1977 pour que « Lou Rodou Nissart » (traduction du cercle niçois) voie le jour.

Ce fut d’abord pour « occuper » ces élèves parfois agités avec l’idée de leur faire présenter un spectacle de fin d’année avec chants et textes traditionnels mis en scène. Mais c’était fait, le ton était donné et la machine en marche. La première pièce de Raoul Nathiez, car Raoul va écrire pour ses pièces, s’intitule Ma qu èra Catarina Segurana ? en mai 1979 et est présentée au théâtre du Vieux-Nice qui deviendra le théâtre Francis Gag 10 ans plus tard. Quoi de plus fédérateur que de prendre l’héroïne nissarda et le fameux siège de Nice en 1543 pour mettre en scène des quantités de jeunes.

Voici ce que dit Jean-Jacques Astesano, le plus ancien membre de la troupe avec Jean-Christophe Grasso sur cette première pièce :

« À mes yeux, [Catarina Segurana] est une performance. Outre la valeur intrinsèque de la pièce, je considère comme un tour de force le montage d’une telle pièce avec des participants (je n’ose même pas dire acteurs) aussi nombreux, aussi inexpérimentés et aussi jeunes. Je me souviens très bien que, pendant les répétitions, notre préoccupation principale de gamin ressemblait moins à Mais qui était Catherine Ségurane ? que Mais comment va-t-on pouvoir jouer au foot pendant que les autres répètent ? Que de patience Raoul Nathiez n’aura pas dû avoir. De la patience mais aussi de la gueule. Son caractère n’était vraiment pas facile mais il faut bien en convenir, il a été un ingrédient indispensable au succès. »

Raoul Nathiez se doutait-il que ce Rodou allait grandir, durer et devenir une des troupes incontournables du paysage niçois ? Je n’en ai jamais parlé avec lui, c’est dommage.

Raoul va enchaîner les pièces. Il devient un auteur indispensable au théâtre nissart : La guerre dei trèuia si farà pas, Lu conte de ma tanta Perotta, divers sketches, poèmes d’Alan Peilhon mis en scènes, contes sont d’autant de textes qui viennent enrichir la langue niçoise où la gouaille, la roublardise, la vie implacable, la satire de la société… sont présentes grâce à l’œil et à la plume de Raoul Nathiez.

Parmi les pièces les plus célèbres on ne peut oublier Lu dich de cada jou, Castéu, baloun e limounada, Lou pichin Tournet, Trenata-nòu quaranta

Et des reprises d’autres auteurs tels Lou presèpi nissart, mis en écriture par Menica Rondelly,  encore joué sous Lou presèpi aujourd’hui par lou Rodou, Gigi Pantai de Jean-Luc Sauvaigo, Lou destin subla jamai doui còu de Stéphane Grasso, Petou lou Rachou de Jouan Nicola…

Raoul n’hésite pas non plus à proposer ses compositions pour d’autres troupes comme « li pichini granouia » pour L’ae de la fada, nous sommes en 1989.

Douze ans déjà que lou Rodou existe. Sa structure est bien lancée, sa troupe rodée. Il étonne et ravit le public par ses décors, sa maîtrise des éclairages : un quasi pro, Jean-Louis Decoster, a rejoint l’équipe technique déjà extraordinaire. Il est encore en place aujourd’hui et assure même des mises en scènes.

Raoul pense aussi aux mambres se la troupe qui absents pour des obligations civiques se retrouvent bien loin du Comté de Nice. Jean-Jacques Astesano témoigne :

 « Après Catarina, mon chemin s’est écarté. Je suis parti naviguer "bessai de l’autre caire dau mounde". C’est mot pour mot la dédicace qui figurait sur l’exemplaire des Contes de Tanta Perotta qu’un collègue, marin comme moi, m’avait descendu à la salle des machines où j’étais de quart à bord de mon tout premier bateau. Il venait d’arriver par courrier. Nous étions à Djibouti. Et dans le vacarme et la chaleur des Diesels, ces contes-là m’ont apporté une bouffée d’aria fresca dau pais que seuls ceux qui se sont déjà un jour expatriés peuvent imaginer. Raoul Nathiez ne m’avait pas oublié. »

En 1998, fin janvier, lou Rodou présente la dernière pièce de Raoul Nathiez : L’enfant dau betun ou le signal des six vents. Même si cette année est prolifique en représentations diverses elle annonce tout de même la fin d’une époque : un an plus tard, Raoul Nathiez tire le rideau du théâtre et laisse les rênes au plus ancien de la troupe Jean-Christophe Grasso. Il va désormais réserver ses écrits pour Lou Sourgentin jusqu’à l’été 2013 pendant lequel Raoul tire définitivement sa révérence laissant derrière lui une œuvre bien réelle comme bel héritage.

Cependant Lou Rodou Nissart continue sa route. Entre 2000 et 2003 Steve Betti assure la présidence et apporte un élan différent à la troupe avec trois créations importantes dans le théâtre niçois : La Rosa, La Sabatièra et Recordansa.

Si la première demeure une comédie mesurée, La Sabatièra (adaptée de Lorca) est une vraie satire ; quant à Recordansa  (adaptée du 7° sceau de Bergman), elle propose au public, habitué à venir au théâtre en nissart pour rire, une tragédie difficile et surprenante dans une langue exemplaire. La Sabatièra et Recordansa ont toujours été jouées l’une après l’autre, car leur durée le permet et pour adoucir le caractère dur de Recordansa dans laquelle je débute dans le monde du théâtre.

Après ce passage tonitruant, Steve Betti part et la troupe me sollicite pour reprendre la présidence du Rodou ce que je fis et fais encore.

Depuis nous avons repris régulièrement Lou presèpi, mais aussi mis en scène des pièces de Reinat Toscano comme Revira Mainage ou Misteri au coumissariat que va être créé le mois prochain.

D’autres sujets sont en préparation de la part de membres du Rodou, mais je ne peux vous en dire davantage il s’agit de surprises auxquelles nous vous invitons très volontiers.

Pour terminer, je signalerai pour illustrer ce qui vient d’être énoncé, que si Lou Rodou Nissart joue encore beaucoup à Nice, dans le comté, en Provence… c’est aussi parce qu’une grande complicité s’est développée dans cette troupe ou le plaisir de se retrouver et de jouer ensemble est quasiment devenu proverbial et les agapes autour d’une bonne table scellent souvent cette entente peu ordinaire.

À chaque nouveau spectacle, tout en conservant l’encadrement des anciens membres et en développant les rôles, des comédiens nouveaux apparaissent. Ce sont souvent des jeunes recrutés grâce au Niçois enseigné dans les établissements scolaires notamment ce qui boucle presque la boucle : c’est par le scolaire que lou Rodou est naît, c’est par le scolaire qu’il perdure : la roda vira, lou Rodou vira encara e toujou !

Mercì Raoul !

    ___________________________________________________