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Des
membres du groupe Chet Nuneta vont nous parler de la création
de leur morceau « Komi », né à la croisée du poème de Viktor
Savin et de leur imaginaire musical. Juliette Roussille a
étudié le russe et s’est rendue plusieurs fois en Sibérie et à
Saint-Pétersbourg, fascinée depuis toujours par la langue
russe et les cultures des peuples du froid. Plusieurs années
après ces voyages, elle en a fait un nouveau… dans la
bibliothèque du Centre Pompidou à Paris. Elle y a découvert un
texte. Celui d’un peuple qui parle de la relation qu’il
entretient avec sa terre, son climat et sa lumière. Cette
poésie a été pour Chet Nuneta, groupe de chants du monde, un
point de départ pour la recherche et la création. « Ces mots
nous touchaient parce qu’ils nous semblaient écrits par un
peuple tout entier. Exprimé dans une langue minorée défendue
par son peuple, ce texte nous a donné envie de nous rapprocher
de celui-ci, de nous immerger dans cet univers du froid et de
sa poésie, ses paysages, sa toundra, sa lumière, qu’on ne
pouvait qu’imaginer. Ce poème est devenu pour nous un terrain
mystérieux où l’excitation de l’inconnu réveillait l’envie et
l’enthousiasme. » Et l’imagination musicale s’est mise en
route.
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Le récit de la
création de « KOMI »
Dans le cadre de l'élaboration de notre deuxième album,
Juliette Roussille a démarré sa recherche par un voyage... à la
bibliothèque du Centre Pompidou à Paris, département des langues
étrangères ! Les contraintes qu'elle s 'était
fixé : trouver des textes porteurs d'un imaginaire culturel
fort, dont le support contenait traduction et phonétique.
Connaissant la langue russe et le cyrillique, Juliette
s'est tournée vers des ouvrages liés aux pays d'Europe de l'Est
et de l'ex-URSS. Un ouvrage intitulé Parlons komi a
retenu son attention. Plusieurs poésies komies y étaient
retranscrites et traduites. Ayant voyagé plusieurs fois en
Sibérie et étant passionnée par les peuples du froid et les
traditions vocales de ces régions (chants de souffle, chant de
gorge), le texte de Victor Savin a fait résonner sa sensibilité.
Voici le texte de Savin et
sa traduction par Sébastien Cagnoli.
L’aire des aigles
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Dès la première lecture
Juliette est tombée amoureuse de ce texte. Il commence comme un
conte et décrit l'espoir libérateur du peuple komi. C'était en
lien avec ce que nous avions envie de chanter et de défendre.
Une fois dans son laboratoire musical, les mélodies qui
lui venaient à l'esprit étaient empreintes de chants
traditionnels finnois, de chants à répondre, sur des rythmiques
très syncopées, chaque syllabe jouée sur une note, dans une
avancée constante du récit mélodique. Ayant longuement écoutée
et étant fascinée par les chants tchouktches (écouté dans un
recueil ethno-musicologique), Juliette a aussi eu l'envie de
jouer avec des sons qui rappelaient les jeux de souffles et les
cris d'oiseaux. Le texte donne aux faucons un pouvoir
quasi-magique et l'évocation sonore de ces faucons (au
travers d'onomatopées chantées) était primordial pour en rendre
compte.
Dans la mélodie et dans l'accompagnement rythmique,
l'intention musicale fut ensuite d'évoquer la répétition et le
cercle, comme dans une transe chamanique. Plus tard, lors de la
restitution scénique, le jeu chorégraphique a été construit dans
la même intention.
Au sein du groupe, nous
avons partagé des récits de Jean Malaurie afin de développer un
vocabulaire commun d'images sur les peuples du froid et ainsi,
nourrir notre interprétation.
Parallèlement au travail de composition musicale, nous
nous sommes mis en quête d'une personne en France pouvant nous
préciser la prononciation exacte du texte de Savin, afin de ne
pas faire de maladresse d'écriture mélodique toujours en lien
avec l'accentuation naturelle de la langue chantée. C'est ainsi
que nous avons fait la rencontre de Sébastien Cagnoli.
La démarche de
Chet Nuneta vis à vis des langues minorées
L’intérêt que Chet Nuneta porte aux langues minorées naît
de plusieurs aspects d'ordre humains et artistiques. Une langue
minorée porte en elle la lutte d'un peuple qui cherche à la
défendre ainsi que toute la culture qui l'accompagne. Dans le
texte de Savin cette lutte est claire. Cela nous touche et nous
porte.
Nous retrouvons souvent dans les langues minorées, les
dialectes, les langues parlées par le peuple, cette force de la
lutte. Les langues non « officielles » résistent à
l'aplatissement linguistique et culturel. Des poèmes, contes,
romans exprimés dans ces langues, racontent des histoires
parfois peu connues, des secrets ancrés dans une culture proche
du peuple. Dans le cas du texte de Victor Savin, ce n'est pas un
secret qui vient se dévoiler, mais le cri sourd d'un peuple à la
recherche de la lumière.
Une langue minorée porte en elle des sons particuliers,
inhabituels. Pour Chet Nuneta, toujours à la recherche de
richesses vocales, cela permet l'exploration de sons nouveaux.
Ces territoires anciens (et nouveaux pour nous), sont un
tremplin pour notre imaginaire au travers duquel nous tentons de
nous rapprocher de ces cultures lointaines. On cherche le komi
qui se cache quelque part en nous ! Ce n'est pas un
parcours ethnologique, ou ethno-musical, c'est un point de
départ pour la création. C'est l'inspiration qui fait voyager
notre monde intime vers un ailleurs. Les guides de ce voyage ne
sont pas théoriques, ils sont intuition et inspiration musicale.
Nous fûmes très étonnés d'apprendre par Sébastien Cagnoli
que le texte choisi était celui de l'hymne komi. Quel plaisir ce
serait d'entendre un jour des komis, revisiter musicalement la
Marseillaise, en y mêlant leur accent et leur imaginaire !
Une fois notre cd sorti, le morceau a été diffusé en pays
Komi. Ce fut pour nous un grand honneur et un réel plaisir de
découvrir que notre morceau a touché et intéressé des komis.
Notre pari n'était donc pas si abstrait. Partir d'une langue, se
laisser inspirer par celle-ci et par l'histoire qu'elle nous
racontes nous a
permis de rentrer en contact, de dialoguer à distance avec des
gens lointains.
Nous sommes convaincus qu'une langue, pour survivre et
vivre, ne doit pas seulement rester dans ses formes d’expression
les plus traditionnelles, reliée à un passé précieux mais
figé. Elle vit si elle s'ancre dans le présent et dans le
dialogue.