Colloque "Théâtre en langue minorée", Nice, 2014.

Claude ALRANQ

TÉMOIGNAGE D’UN ACTEUR-AUTEUR-METTEUR EN SCÈNE CONTEMPORAIN SUR LE THÉÂTRE D’OC

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Fondateur du « Théâtre de la Carriera » (1968) et batailleur infatigable pour la reconnaissance et le renouveau du théâtre méridional (d’expression française et occitane), Claude Alranq a créé une cinquantaine d’œuvres au contact de l’actualité locale et internationale, sur les chantiers les plus divers des arts dits engagés. Après un travail de recherche et de formation à l’université où il s’est affirmé comme un des spécialistes de l’ethno-scénologie française et de l’histoire du théâtre des minorités, il a initié la première licence professionnelle artistique : « ACTEURS-SUD » (interculturalité, transdisciplinarité). Lâché par l’administration universitaire, il revient comme acteur, conteur, auteur, metteur en scène d’une vie méridionale au carrefour des traditions et des imaginaires, à la pointe d’un alter-mondialisme des cultures et des terroirs.

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Il restera toujours dans l’histoire du théâtre d’oc un grand mystère... (Il en dit long sur les questions d’identité que d’aucuns voudraient bannir d’un trait de plume.)

Alors que partout l’art théâtral est menacé, pourquoi le choisir ?

Et qui plus est, pourquoi le choisir dans une langue qui perd son peuple ?

Oui, c’est un mystère que de voir des gens qui n’ont jamais été joués s’acharner à proposer des textes, déposer leur édition à compte d’auteur chez un buraliste ou en des lieux où l’on n’achète presque jamais de livres. Et le temps passe, et la passion ne renonce pas, même si les formes évoluent.


D’une génération à l’autre...

La génération qui est la mienne, celle des années 1970, était portée par une belle espérance : « Salvar lo pais ! » (économiquement et politiquement). Cette espérance avait un corollaire : « Pour sauver le pays, il faut qu ’il retrouve sa dignité culturelle : sa langue, son histoire, son biais de vivre. ». La génération qui nous a suivis semble être revenue à « Salvar la lenga ! », sans trop se poser comme corollaire la nécessité de garder le pays et ses gens, c’est-à-dire : ceux qui devraient être les premiers intéressés par la langue d’oc.

Il est vrai que nous observons qu’à présent les plus intéressés ne sont pas forcément d’ici et que de plus en plus prévaut une autre façon de ressentir le territoire-source et le peuple-sourcier.

Si, dans les années 1970, nous étions « lo recaliu » d’une population plus ou moins occitanophone sans conscience de son occitanité, la génération 2000 a à faire avec une population plus ambiguë, d’une part plus « mondialisée » et d’autre part plus franco-nationaliste.

En deux mots, la génération de l’an 2000 subit la défaite de l’alternative occitaniste qui n’a pas pu imposer sa vision beaucoup plus fructueuse du fait identitaire, vu que les politiciens de droite comme de gauche ont tout fait pour que cette alternative n’apparaisse pas dans le débat (dit) démocratique.

 

L’occitanitude en chantier

Quel théâtre d’oc naîtra de toutes ces turbulences ?

En fait, sa re-définiton est en marche depuis la fin des années 1980 et s’il fallait trouver un mot pour la nommer, nous proposerions celui d’occitanitude. Cette occitanitude naît d’une expérience douloureuse : le recul de la langue dans le peuple. Elle naît aussi d’un constat : l’incapacité de la politique à « changer le monde ».

Cette expérience et ce constat ne sont pas toujours clairement exprimés dans le théâtre d’oc car il ne faut pas démobiliser les publics ou encourir la colère des maigres subventionneurs. Cependant ce sentiment d’exclusion (qui a contraint bien des nôtres à cesser l’aventure) n’a pas pris forme que pour conclure : « les carottes sont cuites.» Il a mûri la créativité et progressivement le théâtre d’oc émerge sur une autre latitude.

Ce ne sont plus les repères de l’appartenance territoriale, de l’unicité linguistique, du pouvoir occitan qui sont mis en avant mais la source qui colore nos créations d’une subjectivité personnelle ou collective éprouvée au contact « des choses d’ici »: un environnement, un climat, une histoire, une manière de vivre, une épreuve, un souvenir, un désir d’alliance, une idée du bonheur...

Langue, territoire, pouvoir n’ont plus de vérités intrinsèques. Ils ne sont pas bons ou mauvais en soi. Ils sont ouverts, à partager, à édifier ensemble, que ce soit avec l’autre, la nature, le sacré, les cultures du monde... Les espaces de l’inter- et du trans- effacent les clivages. Les frontières du temps sont elles aussi poreuses. La tradition et l’imaginaire, le patrimoine et la création s’inventent un métalangage et de nouveaux rituels croissent sur les anciens sans en faire table rase.

Le local et l’universel ne sont plus les victimes ou les gagnants d’un dialogue de sourds. La proximité redevient une valeur marchande et humaine. La politique, la cité et la science perdent de leur toute puissance vis à vis d’anciens et de nouveaux usages. Dans les termes de l’anthropo-psychologue Jung, nous dirions que « l’anima » (âme féminine) reprend ses droits sur « l’animus » (âme masculine), et la philosophie retrouve un rôle.


La transmission en débat 

L’occitanitude est en chemin dans le théâtre d’oc, montante pour lui donner un second souffle, fragile pour s’en remettre seulement à elle en ce moment crucial où la génération 1970 prend la retraite sans qu’aucun moyen lui soit attribué pour transmettre un demi-siècle d’expériences de terrain.

Nul n’est suffisamment prophète pour savoir si la langue survivra à de tels métissages. A la limite, qu’importe ! Elle aura œuvré dans l’espace-temps qui est le sien pour échapper à la tentation des ethno-centrismes et elle aura transmis les valeurs que ses laudateurs lui ont attribuées : « l’amor », « lo paratge », « lo pais », « ni mestre ni varlet »... Ses huit siècles de « culture minoritaire » ont agi et ne finiront pas d’agir dans la contre-Histoire pour que l’humanité  remette en cause certains de ses errements.

 

De 1995 à 2005, dans la section arts du spectacle de l’Université de Nice-Sophia-Antipolis, nous avons expérimenté ces convictions. Elles s’avèrent être aujourd’hui incontournables mais elles furent brutalement interrompues par la suppression de la formation « Acteurs-sud ».


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