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Fondateur du « Théâtre de la Carriera » (1968) et batailleur
infatigable pour la reconnaissance et le renouveau du théâtre
méridional (d’expression française et occitane), Claude Alranq
a créé une cinquantaine d’œuvres au contact de l’actualité
locale et internationale, sur les chantiers les plus divers
des arts dits engagés. Après un travail de recherche et de
formation à l’université où il s’est affirmé comme un des
spécialistes de l’ethno-scénologie française et de l’histoire
du théâtre des minorités, il a initié la première licence
professionnelle artistique : « ACTEURS-SUD »
(interculturalité, transdisciplinarité). Lâché par
l’administration universitaire, il revient comme acteur,
conteur, auteur, metteur en scène d’une vie méridionale au
carrefour des traditions et des imaginaires, à la pointe d’un
alter-mondialisme des cultures et des terroirs.
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Il restera
toujours dans l’histoire du théâtre d’oc un
grand mystère... (Il en dit long sur les questions d’identité
que d’aucuns
voudraient bannir d’un trait de plume.)
Alors que
partout l’art théâtral est menacé, pourquoi le choisir ?
Et qui
plus est, pourquoi le choisir dans une
langue qui perd son peuple ?
Oui, c’est un
mystère que de voir des gens qui n’ont
jamais été joués s’acharner à proposer des textes, déposer
leur édition à
compte d’auteur chez un buraliste ou en des lieux où l’on
n’achète presque
jamais de livres. Et le temps passe, et la passion ne renonce
pas, même si les
formes évoluent.
La génération qui
est la mienne, celle des années
1970, était portée par une belle espérance : « Salvar
lo pais ! »
(économiquement et politiquement). Cette espérance avait un
corollaire :
« Pour sauver le pays, il faut qu ’il retrouve sa
dignité culturelle
: sa langue, son histoire, son biais de vivre. ». La
génération qui nous a
suivis semble être revenue à « Salvar la lenga
! », sans trop
se poser comme corollaire la nécessité de garder le pays et
ses gens,
c’est-à-dire : ceux qui devraient être les premiers intéressés
par la langue
d’oc.
Il est vrai que
nous observons qu’à présent les plus
intéressés ne sont pas forcément d’ici et que de plus en plus
prévaut une autre
façon de ressentir le territoire-source et le peuple-sourcier.
Si, dans les
années 1970, nous étions « lo
recaliu » d’une population plus ou moins occitanophone
sans conscience de
son occitanité, la génération 2000 a à faire avec une
population plus ambiguë,
d’une part plus « mondialisée » et d’autre part plus
franco-nationaliste.
En deux mots, la
génération de l’an 2000 subit
la défaite de l’alternative occitaniste qui n’a pas pu imposer
sa vision
beaucoup plus fructueuse du fait identitaire, vu que les
politiciens de droite
comme de gauche ont tout fait pour que cette alternative
n’apparaisse pas dans
le débat (dit) démocratique.
Quel
théâtre d’oc naîtra de toutes ces
turbulences ?
En fait, sa
re-définiton est en marche depuis la
fin des années 1980 et s’il fallait trouver un mot pour
la nommer, nous
proposerions celui d’occitanitude. Cette occitanitude naît
d’une expérience
douloureuse : le recul de la langue dans le peuple. Elle naît
aussi d’un
constat : l’incapacité de la politique à « changer le
monde ».
Cette expérience
et ce constat ne sont pas toujours
clairement exprimés dans le théâtre d’oc car il ne faut pas
démobiliser les
publics ou encourir la colère des maigres subventionneurs.
Cependant ce
sentiment d’exclusion (qui a contraint bien des nôtres à
cesser l’aventure) n’a
pas pris forme que pour conclure : « les carottes sont
cuites.» Il a mûri
la créativité et progressivement le théâtre d’oc émerge sur
une autre latitude.
Ce ne sont plus
les repères de l’appartenance
territoriale, de l’unicité linguistique, du pouvoir occitan
qui sont mis en
avant mais la source qui colore nos créations d’une
subjectivité personnelle
ou collective éprouvée au contact « des choses
d’ici »: un
environnement, un climat, une histoire, une manière de vivre,
une épreuve, un
souvenir, un désir d’alliance, une idée du bonheur...
Langue,
territoire, pouvoir n’ont plus de vérités
intrinsèques. Ils ne sont pas bons ou mauvais en soi. Ils sont
ouverts, à
partager, à édifier ensemble, que ce soit avec l’autre, la
nature, le sacré,
les cultures du monde... Les espaces de l’inter- et du
trans-
effacent les clivages. Les frontières du temps sont elles
aussi poreuses. La
tradition et l’imaginaire, le patrimoine et la création
s’inventent un
métalangage et de nouveaux rituels croissent sur les anciens
sans en faire
table rase.
Le local et
l’universel ne sont plus les victimes ou
les gagnants d’un dialogue de sourds. La proximité redevient
une valeur
marchande et humaine. La politique, la cité et la science
perdent de leur toute
puissance vis à vis d’anciens et de nouveaux usages. Dans les
termes de
l’anthropo-psychologue Jung, nous dirions que
« l’anima » (âme
féminine) reprend ses droits sur « l’animus » (âme
masculine), et la
philosophie retrouve un rôle.
L’occitanitude
est en chemin dans le théâtre d’oc, montante
pour lui donner un second souffle, fragile pour s’en
remettre seulement
à elle en ce moment crucial où la génération 1970 prend la
retraite sans
qu’aucun moyen lui soit attribué pour transmettre un
demi-siècle
d’expériences de terrain.
Nul n’est
suffisamment prophète pour savoir si la
langue survivra à de tels métissages. A la limite, qu’importe
! Elle aura œuvré
dans l’espace-temps qui est le sien pour échapper à la
tentation des
ethno-centrismes et elle aura transmis les valeurs que ses
laudateurs lui ont
attribuées : « l’amor », « lo paratge »,
« lo
pais », « ni mestre ni varlet »... Ses huit
siècles de
« culture minoritaire » ont agi et ne finiront pas
d’agir dans la contre-Histoire
pour que l’humanité remette
en cause
certains de ses errements.
De 1995 à 2005,
dans la section arts du spectacle de
l’Université de Nice-Sophia-Antipolis, nous avons expérimenté
ces convictions.
Elles s’avèrent être aujourd’hui incontournables mais elles
furent brutalement
interrompues par la suppression de la formation
« Acteurs-sud ».